Un dimanche à la campagne

Un dimanche à la campagne (Bertrand Tavernier-1984)


Marie-Thérèse avait à peu près toutes les vertus, mais bien cachées. Ç’avait été un des grands étonnements de Monsieur Ladmiral de voir son fils épouser cette femme et il ne s’en était jamais bien remis. Après s’être longuement interrogé, il avait simplement conclu que Gonzague et Marie-Thérèse  s'étaient mariés parce que tout le monde se marie, comme tout le monde naît et meurt ; si cette explication ne rendait pas l’événement plus compréhensible, au moins elle interrompait les recherches, et Monsieur Ladmiral s’en tenait là. Il n’avait jamais beaucoup cru à l’existence de sa belle-fille, et du reste se passait très bien d’y croire. Marie-Thérèse, de son côté, ne s’était jamais posé de questions. Elle aimait bien son beau-père, pour la raison qu’on aime bien les membres de sa famille, et ceux aussi de la belle-famille, tant que les questions d’amour-propre ne sont pas enjeu, et elle était heureuse avec ça. Car elle était heureuse, certainement. Un peu lentement, mais avec application et placidité. Les journées avaient vingt-quatre heures, la maison marchait bien.
[…] Marie-Thérèse se croyait libre, et peut-être bien qu’elle l’était. […] Marie-Thérèse était un des rares êtres qu’on ait connus qui n’aient jamais souffert des ennuis d’argent. Ce trait mérite d’être souligné, et suffirait à prouver que Marie-Thérèse n’était pas une femme ordinaire, en dépit des apparences. Mais vraiment les apparences étaient fortes. […] Marie-Thérèse était moyenne par la taille, par la corpulence, par le visage. Des traits un peu épais, paisibles, ni belle ni laide, comme on dit des femmes qui ne sont pas belles.

Les jeux de lumière sous le feuillage de la tonnelle le ravissaient, le plongeaient dans une espèce de griserie apaisante. C’était si beau cette lumière d’été, et cette buée sèche de couleurs éclatantes sur tout le jardin, ces verts et ces rouges, et cet or, et ce soleil comme un liquide ou une poudre, qui ne mangeait pas les couleurs, non, c’est faux tout ce qu’on raconte, mais les rendait vivantes, gonflées, prêtes à crever, comme si chacune était un petit être qui demandait à être caressé, ou un mot qu’il fallait comprendre. Dans ces moments-là, Monsieur Ladmiral savait qu’il aimait la peinture par-dessus tout, qu’il n’avait rien à regretter de sa vie, et qu’après tout, s’il n’avait pas mieux réussi, cela n’avait pas beaucoup d’importance puisqu’il comprenait ce qu’il aurait fallu faire, puisque même sans y atteindre, il apercevait le sommet.

Qu’est-ce que ça serait, pensaient parfois les enfants dans leurs rêves insensés, qu’est-ce que ça serait d’avoir une mère comme tante Irène ! Mais ils comprenaient bien que ce sont des choses qui n’arrivent pas, et qu’il y a deux espèces de femmes : les mères et les tantes Irène. On ne sait pas pourquoi, mais c’est comme ça. Encore heureux que le sort leur ait donné une tante Irène en complément !

Les belles femmes ne méprisent aucun hommage, d’où qu’il vienne : un sou est un sou. C’est une des nombreuses ressemblances entre le beauté et la richesse ; et l’une et l’autre, en effet, vont presque toujours ensemble : il arrive qu’une femme belle soit pauvre ; il est très rare qu’elle le reste.
Pierre Bost - Monsieur Ladmiral va bientôt mourir (Gallimard L'imaginaire-2005)

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