Récap février 2017


E.M. Forster - Arctic Summer (Robert Laffont-2017)
Le voici donc, ce fameux roman inachevé de Forster. Et pour une fois, je suis plutôt d’accord avec le blurb de la 4e de couv : « Si Forster l'avait mené à son terme, cela aurait été son plus grand livre. » The Guardian
On y retrouve tous ses thèmes de prédilection : l’affrontement des classes sociales, la vision des modernes contre celle des conservateurs comme dans Howards End, les mœurs des anglais à l’étranger (Monteriano, Avec vue sur l’Arno, Route des Indes) ainsi qu’une évocation à peine voilée de l’homosexualité, qui augure Maurice (que Forster écrira peu de temps après).
Forcément, à peine 150 pages, c’est un peu frustrant mais, même si elle s’achève brutalement, l’histoire se tient et pourrait se suffire à elle-même.
Extraits


Emmanuel Venet - Marcher droit, tourner en rond (Verdier-2016)
Aux obsèques de sa grand-mère (quasi-centenaire), le narrateur rage contre l’hypocrisie inhérente à ce type de rassemblement familial.
Dans un savoureux monologue intérieur qui tient du jeu de massacre en bonne et due forme, il passe en revue tous les non-dits, (pseudos) secrets de famille ; dénonce le jeu des apparences, des convenances et des faux-semblants.
D’aucuns trouveront sa lucidité cruelle. Peut-être est-ce pour rendre cette vérité plus facilement acceptable par le lecteur que l’auteur (psychiatre) fait de son narrateur un quadra atteint du syndrome d'Asperger… Car doit-on obligatoirement souffrir d’un désordre du développement d’origine neurobiologique pour refuser l’hypocrisie sociale, particulièrement dans des moments aussi graves que les oraisons funèbres ?
Extraits


Daniel James Brown - The Boys in the Boat: Nine Americans and Their Epic Quest for Gold at the 1936 Berlin Olympics (Viking-2013)
Récit véridique de l’aventure qui a mené l’équipe d'aviron de l'Université de Washington (Seattle) à représenter les États-Unis aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936 et qui a remporté l’épreuve d’aviron par équipe (huit en pointe avec barreur), Joe Rantz, Gordon Adam, Charles “Chuck” Day, Don Hume, George “Shorty” Hunt, Jim “Stub” McMillin, Roger Morris, John White Jr. et leur barreur Bob Moch.
À cette époque, dans le monde de l’aviron, ce sont les universités chics de l’Est des États-Unis qui mènent la danse. Grâce à la détermination de son entraîneur (Al Ulbrickson) et les conseils avisés d’un fabricant de bateaux passionné (George Pocock), l’université de Washington va changer la donne et faire entrer l’Ouest du pays dans l’histoire de ce sport.
À travers les parcours personnels de certains membres de l’équipe, Brown retrace l’épopée qui mena l’équipe des rives du lac Washington au stade de Berlin, d’un pays ravagé par la Grande Dépression à un autre aux mains du nazisme, dans ses moindres détails. Et c’est peut-être là que le récit pêche : l’accumulation du moindre détail (qui permet certes de « vivre » les différentes courses comme si on y assistait en direct, au chronométrage et à la cadence près) alourdit le récit et ralentit le rythme. Tant et si bien qu’à la fin, je lisais ces passages en diagonale.
En revanche, au-delà de l’exploit et de l’aventure humaine, j’ai beaucoup aimé la « philosophie » de ce sport : dépassement de soi, fraternité et solidarité.

“It’s not a question of whether you will hurt, or of how much you will hurt; it’s a question of what you will do, and how well you will do it, while pain has her wanton way with you.”

“All were merged into one smoothly working machine; they were, in fact, a poem of motion, a symphony of swinging blades.”

“What mattered more than how hard a man rowed was how well everything he did in the boat harmonized with what the other fellows were doing. And a man couldn’t harmonize with his crewmates unless he opened his heart to them. He had to care about his crew.”

“Harmony, balance, and rhythm. They’re the three things that stay with you your whole life. Without them civilization is out of whack. And that’s why an oarsman, when he goes out in life, he can fight it, he can handle life. That’s what he gets from rowing.”

“Rowing is perhaps the toughest of sports. Once the race starts, there are no time-outs, no substitutions. It calls upon the limits of human endurance. The coach must therefore impart the secrets of the special kind of endurance that comes from mind, heart, and body. —George Yeoman Pocock”

“He suggested that Joe think of a well-rowed race as a symphony, and himself as just one player in the orchestra. If one fellow in an orchestra was playing out of tune, or playing at a different tempo, the whole piece would naturally be ruined. That’s the way it was with rowing. What mattered more than how hard a man rowed was how well everything he did in the boat harmonized with what the other fellows were doing.”

“Somewhere among them—those green and untested boys—lay much of the stock from which he would have to select a crew capable of going all the way. The trick would be to find which few of them had the potential for raw power, the nearly superhuman stamina, the indomitable willpower, and the intellectual capacity necessary to master the details of technique. And which of them, coupled improbably with all those other qualities, had the most important one: the ability to disregard his own ambitions, to throw his ego over the gunwales, to leave it swirling in the wake of his shell, and to pull, not just for himself, not just for glory, but for the other boys in the boat.”

“The result of all this muscular effort, on both the larger scale and the smaller, is that your body burns calories and consumes oxygen at a rate that is unmatched in almost any other human endeavor. Physiologists, in fact, have calculated that rowing a two-thousand-meter race—the Olympic standard—takes the same physiological toll as playing two basketball games back-to-back. And it exacts that toll in about six minutes.”

“I just don’t understand why you don’t get angry.” Joe continued to stare ahead through the windshield. “It takes energy to get angry. It eats you up inside. I can’t waste my energy like that and expect to get ahead. When they left, it took everything I had in me just to survive. Now I have to stay focused. I’ve just gotta take care of it myself.”

“It is hard to make that boat go as fast as you want to. The enemy, of course, is resistance of the water, as you have to displace the amount of water equal to the weight of men and equipment, but that very water is what supports you and that very enemy is your friend. So is life: the very problems you must overcome also support you and make you stronger in overcoming them.”



Raphaël Enthoven & Jacques Perry-Salkow - Anagrammes pour lire dans les pensées  (Actes Sud-2016)
(4e de couv.) Le monde est renversant, le sens est réversible, enseigne l’anagramme. Un art combinatoire qui consiste à déplacer les lettres d’un mot pour en former un autre. Un art de l’étonnement. Avec lui, l’espérance devient la présence, l’avoir ou l’être se change en l’or ou la vérité, et il arrive qu’un maître à penser soit un ami à présenter…
Mais une anagramme, c’est beaucoup plus qu’une anagramme. Chaque trouvaille est une aventure pour l’esprit. Quel chemin mène de la démocratie à l’art de la comédie ? Quel autre conduit Antigone jusqu’à sa négation ? Et que reste-t-il d’une question sans réponse ?
Raphaël Enthoven et Jacques Perry-Salkow, le professeur et l’artiste, nous emmènent dans les paysages buissonniers du langage et de la pensée.


Ça se picore avec un certain plaisir, en dégustant la virtuosité des auteurs à manier les mots et les concepts.

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