De l’art de la nuance : on ne dit pas “voler un livre“ mais “piquer un bouquin"

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« Voler des bouquins, est-ce immoral ? »
Telle est la question (ou le cas de conscience) que pose Jacques Drillon, dans un article publié dans L’Obs qui soulève quelques réflexions intéressantes :

Voler un livre n’est pas vraiment un vol :
L'objet est si particulier, par ce qu'il véhicule depuis des siècles, comme s'il était la forme la plus concentrée d'humanité, cet objet est si sacré que glisser un volume dans sa poche sans verser la contrepartie habituelle passe pour une sorte de viol religieux, la transgression presque érotique de l’interdit social par excellence. Le livre efface le vol. Voler un livre, ce n’est pas tout à fait voler, pense le voleur, petit Prométhée qui croit dérober le feu.

Petits arrangements avec sa conscience et autres entorses à sa propre morale :
On « oublie » de rendre, on choisit […], on en emporte sans le vouloir […], ou alors on prétend prendre sa revanche contre tous les vols impunis dont on serait victime, on le fait par refus politique du travail, du marché, de la société. Des raisonnements comparables à ceux de l'ivrogne qui ne peut arrêter de boire et feint de ne pas le vouloir, à ceux du pickpocket de Bresson : la société me le doit bien […].
Le vol de livres, c'est la fausse monnaie de la morale. 


Si le voleur de livres n’est pas un voleur comme tous les autres, Drillon fait aussi une distinction entre les voleurs de livres eux-mêmes :
[…] le voleur qui lit le livre volé et celui qui le revend ne sont pas du même monde. Le premier jette l'opprobre sur le second. Mais sa morale n'en est pas moins d'une souplesse inévitable : ce livre n'était pas cher, la Fnac est une grosse enseigne qui vole tout le monde, un livre est aussi indispensable que le pain, celui que vole Jean Valjean…

Indubitablement, Jean Genet appartenait lui à la première catégorie, lui qui…
[…] au juge qui lui posait la question alors qu’il venait de voler un livre: « En connaissiez-vous le prix ? » répondit sèchement: « Non, mais j'en connaissais la valeur. »

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