La crise du livre n’est pas la crise de la lecture


Points de vue intéressants tirés de l’article Mutation de l'animal lecteur : les nouvelles pratiques de lecture, de Nathalie Crom, publié le 24/08/2013 sur le site de Telerama (mis à jour le 30/08/2013).
À méditer.

Olivier Donnat, chargé d'analyser les enquêtes régulièrement menées sur les pratiques culturelles des Français
« Souvent, on parle de crise de la lecture pour évoquer en réalité la crise du livre. Mais ce n'est pas du tout la même chose. Le livre n'est clairement plus, aujourd'hui, le support privilégié et prédominant de la lecture. De plus en plus, nos actes de lecture se situent hors de lui – au profit, notamment, des différents écrans qui nous entourent au quotidien. Mais il est fréquent aussi que, prononçant le mot “lecture”, on parle en réalité du rapport de l'homme d'aujourd'hui à la littérature, relation qui serait en train de se transformer, voire de se déliter. Le fait est que la lecture de romans et d'œuvres littéraires n'est qu'une petite partie des actes de lecture de livres.»
« La lecture dite “sérieuse” est porteuse de contraintes qui rentrent difficilement dans nos modes de fonctionnement actuels : tout ce qui relève du temps long a du mal à s'insérer dans le temps saccadé, fragmenté qui est le nôtre. »


Michel Melot, ancien président du Conseil supérieur des bibliothèques
« Nous sommes dans un moment de mutation, c'est certain. Mais comment peut-on parler de crise de la lecture, voire de rupture avec la civilisation de l'écrit, alors qu'on n'a jamais autant lu ? Plus que jamais auparavant, l'écrit est partout dans nos vies, sur nos écrans, dans nos boîtes mail, sur les murs de nos villes… L'alphabet se décline sur les touches de nos ordinateurs, à tel point que nombre d'enfants d'aujour­d'hui savent lire avant d'entrer au cours préparatoire ! Non, ce qui est en crise, c'est la librairie. Parce que, de plus en plus, on consulte, on imprime chez soi. »


Myriam Revault d'Allonnes, philosophe
« Lorsqu'on se met à lire, on se débranche du monde extérieur. Or, l'homme contemporain n'aime pas se sentir ainsi déconnecté. J'entends déplorer fréquemment que les élèves ne lisent plus. Ou, plus souvent encore, qu'ils ne savent plus lire un livre du début à la fin, et se satisfont de fragments. Mais la lecture fragmentée n'est pas liée simplement à l'existence autour de nous des écrans qui nous sollicitent en permanence. Elle s'explique plus profondément par le rapport qu'entretient l'individu contemporain avec le temps – ce qu'on appelle le “présentisme”, à savoir la prégnance de l'instant, de l'immédiateté, l'appréhension du temps comme une succession de moments au détriment de la prise en compte de la durée, de l'existence du passé et de l'avenir. Cette incapacité à envisager la longue durée affecte fatalement la pratique de la lecture, qui est à la fois de l'ordre de la mémoire et du projet. »




Sans oublier, le point de vue de Tristan Garcia sur la lecture, tiré d’un autre article du même dossier Rentrée littéraire 2015, de Telerama : Le roman est dépassé par d’autres formes artistiques plus populaires
« Compter les lecteurs immédiats, ceux du premier front, ceux qui lisent vraiment, c'est se tromper, à mon avis. La lecture s'est toujours diffusée lentement, par des intermédiaires : ceux qui lisent racontent à ceux qui ne lisent pas ; et puis les livres sont adaptés à la scène, ou à l'écran; quelque chose d'eux ne cesse de se diffuser, et en même temps de se perdre. Les lecteurs ne sont que les premiers agents de la littérature, qui s'écoule tant bien que mal dans le corps social. »
Tristan Garcia, “[La lecture]Une activité de tout temps minoritaire”
Propos recueillis par Michel Abescat et Erwan Desplanques
Publié le 24/08/2015

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